Féminin, masculin : égalité lexicale et égalité grammaticale
Le sujet de l’écriture inclusive soulève des passions. Pourtant, la nécessité de l’égalité homme-femme ne fait plus débat, elle est une évidence. Alors, comment faire vivre cette égalité dans la langue, à l’écrit, mais aussi à l’oral ? D’ailleurs, ne devrait-on pas parler de langue inclusive et pas seulement d’écriture inclusive ?
Pendant mes années cartable, tous mes enseignants répétaient "le masculin l’emporte sur le féminin". Cette injonction grammaticale, qui s’appliquait à l’écrit comme à l’oral, n’a en rien réduit le champ des possibles que j’imaginais pour mon futur. Mais je dois en convenir, à l’époque, certains sports étaient le pré carré des hommes, un pré carré rectangulaire où vingt-deux paires de jambes velues se disputaient un ballon. Il en était de même pour certaines professions : rares étaient les femmes pilotes de ligne, sapeurs-pompiers ou chauffeurs de taxi. La faute à leur vocable masculin ?
De l’hégémonie masculine grammaticale à l’écriture inclusive
C’est Vaugelas (1585 – 1650), grammairien et académicien, qui décréta, en 1647 : « Le genre masculin étant le plus noble, il doit prédominer toutes les fois que le masculin et le féminin se trouvent ensemble ». Aujourd’hui, cette affirmation choque. En quoi et pourquoi le masculin est-il plus noble ?
Plus de trois siècles plus tard, en 1978, nos cousins canadiens s’intéressent à l’influence du vocabulaire et de la grammaire dans la mise en lumière du sexe dit fort et l’invisibilisation des femmes.
En 1984, en France, une Commission de terminologie est créée, par arrêté du ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des droits de la femme, pour travailler à la féminisation des noms de métiers, des titres et des fonctions. L’Académie française, aussi vénérable que lente, se prononce le 28 février 2019 en faveur de la féminisation des noms de métiers, de fonctions, de titres et de grades. Remarquons que cette féminisation nécessite parfois un arbitrage quant à sa mise en œuvre. Ainsi, pour la plupart des professions en -eur, l’ajout d’un "e" semble le moyen naturel et simple de féminisation : le docteur, la docteure. Mais pour le mot auteur, deux écoles ont cohabité : une auteure ou une autrice. L’usage semble avoir donné la préférence à autrice. Personnellement, j’étais plutôt favorable à auteure. Avec le temps, mon oreille s’est habituée à autrice, que j’ai désormais intégré à mon lexique. Comme quoi, l’oreille s’éduque et nous éduque. Dans l’armée, très masculine et d’un naturel conservateur, l’adjudante, la colonelle et la sergente portent l’uniforme avec le même panache que leurs homologues masculins.
La féminisation des professions, des grades et des titres est essentielle pour permettre aux petites filles de se projeter dans ces métiers longtemps dominés par les hommes.
Pour poursuivre dans cette volonté de ne pas sexuer l’écriture, s’est posée la question d'une égale visibilité des hommes et des femmes, dans un groupe mixte, avec le très controversé point médian. Ce point médian, qui a symbolisé l’écriture inclusive, permet de désigner homme et femme, pour une rédaction non genrée : Les boulanger·ères·s, les pâtissier·ère·s et les restaurateur·rice·s ravissent les palais des gourmand·e·s et des gourmet·tes·s. Remarquons que le point médian est impraticable à l’oral. Eu égard, à la difficulté pour composer le point médian (sur un PC, composer sur le pavé numérique Alt+183 - sur un Mac, composer : Alt + Maj + F) et surtout pour la difficulté de lecture qu’il entraîne, le point médian n’a pas eu le succès que lui rêvaient ses défenseurs. Une circulaire de 2017 relative aux règles de féminisation l’enterre définitivement.
Les pronoms iel et iels enrichissent la langue
Les pronoms personnels "iel" et "iels" ne sont pas uniquement des étendards militants, ils permettent une expression plus précise. J’avoue que j’ai été dubitative, la première fois que j’ai entendu prononcer iel. Mais force est de constater que ce pronom, qui se décline au pluriel, enrichit la langue.
Le pronom "iel" au singulier permet de désigner un humain, dont on ne veut ou dont on ne peut pas préciser s’il s’agit d’un homme ou d’une femme : La personne recrutée bénéficiera de deux jours de télétravail, qu’iel pourra choisir librement.
Au pluriel, "iels" apporte une réelle valeur ajoutée, en termes de précision. Quand elles sont arrivées… signifie que le groupe arrivé est constitué exclusivement de femmes, alors que Quand ils sont arrivés… ne permet pas de savoir si le groupe est mixte ou composé uniquement d’hommes : Quand iels sont arrivés permet de comprendre que le groupe est mixte. Notez toutefois l’accord du participe passé au masculin pluriel.
Les pronoms personnels "iel" et "iels" ont été consacrés dans l’édition 2023 du dictionnaire Le Robert.
La langue déjà inclusive, pour qui veut
Le point médian et les nouveaux pronoms personnels ont fait couler beaucoup d’encre, alors que la langue française est déjà outillée pour donner de la visibilité aux femmes avec :
- la formulation fléchie (utilisation du mot masculin et du mot féminin) - Les électeurs et les électrices se rendront aux urnes prochainement… ;
- les mots épicènes (utilisation d’un mot identique au masculin et au féminin) - Les élèves, les malades, les enfants, les nourrissons, les bébés… ;
- la formulation englobante (utilisation d’un terme qui englobe hommes et femmes et dont le genre est sans rapport avec le genre des personnes) - L’équipe dirigeante, le personnel…
L'écriture inclusive, plus qu’une réponse, représente une réelle avancée pour lutter contre les inégalités persistantes dans le langage. Toutefois, son application doit être réfléchie et comme toujours, la nuance est de mise. Certaines solutions proposées, qui se voulaient inclusives, excluaient celles et ceux qui souffrent de troubles -dys (dysphasie : trouble du langage, dyslexie : déficit en lecture, dysorthographie : déficit de l’expression écrite…). Un comble, non ?
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Maria (samedi, 20 avril 2024 12:19)
Encore un article utile et clair sur un sujet d'actualité !
Je n'avais pas idée que les décisions prises en 2019 avaient pour date de début de réflexion l'année 1984 !